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« Misr, oum eddounia » : l’Egypte est la mère du monde
Cette expression, très courante chez la majorité des Egyptiens et Egyptiennes révèlent au moins trois choses :
- La fierté du peuple égyptien et l’amour qu’il porte à son pays et à son histoire prestigieuse.
- Il est vrai que l’Égypte a été et (est toujours ) au centre de ce que l’on a appelé la Nahda al- Arabiya (renaissance arabe), sursaut révolutionnaire dans le domaine des connaissances : renouveau et revification de la langue arabe, et de l’exégèse musulmane, littérature moderne, cinéma, théâtre, mais aussi réhabilitation de l’Histoire du monde arabe, falsifiée ou jetée aux oubliettes par le colonialisme ; même si l’Egypte n’était « qu’un protectorat ». Plus,évidemment la résurgence du « panarabisme » avec le leadership du président Nasser.
- L’Égypte étant sans conteste un pays leader dans le monde arabe (ne serait-ce que pour le rôle joué à l’époque par Nasser, la diffusion massive des films égyptiens dans les télés arabes ainsi que les journaux et magazines. l’Égypte donc ne pouvait que jouer un rôle central dans la codification des habits conformément à la loi musulmane (charia). Les moyens techniques modernes permettent d’ouvrir une voie assez large pour que la mode égyptienne , les stylistes, les créateurs puissent s’engouffrer, développer leur créativité et grâce aux médias égyptiens relativement développés, influencer les autres pays concernés par l’Islam, même chez les grandes maisons de coutures occidentales qui leur emboîtent le pas.
Les différents habits traditionnels égyptiens
De fait on trouve différentes variations à partir d’un même modèle. La robe longue appelée Gallabiyya par exemple, est elle-même un type vestimentaire en Égypte divisé en deux genre : l’un masculin, l’autre féminin à l’intérieur desquels s’ajoutent des variations ainsi que des transferts d’un genre à l’autre.
De nos jours, à côté des modèles traditionnels dont les différences renvoient à des origines régionales, la Haute-Egyptre, le Delta, aires à l’intérieur desquelles existent aussi des variétés,on en trouve qui, résultant d’interprétations, de réinterprétations, d’influences extérieures comme la gallabiyya dite frangi, (européenne), à cause de son col et de ses poignées de chemise, ou l’ »Alexandrine » (Skandarani), à col officier et avec ou sans poignet, parente de la « Saoudienne » introduite par les émigrés de retour du Golfe ou d’Arabie. IL y a bien entendu d’autres types qui peuvent être extrêmement contrastés, de la gallabiyya au blue-jeans.
Les muhaggabât
Le mot « voile » est un terme commode , dérivé de la racine HJB qui a donné le mot hijab, ou hidjab ou higab (à l’égyptienne car les égyptiens prononcent le ja en ga). Essayons peu de voir comment les spécialistes de l’habillement, aussi bien les « praticiens » (stylistes, tailleurs, couturiers) que les théoriciens de l’habillement (Roland Barthes, Daniel Roche par exemple) et les critiques de mode procèdent pour nommer les choses, afin de mieux les distinguer et de les « travailler » en pratique et sur le plan conceptuel. On sait très bien que chaque profession créer son propre « jargon »…
La classification par « pièces »
Aucun vêtement, quel qu’il soit, masculin ou féminin, rural ou citadin (et cela est valable pour toutes les civilisations) n’est « statique », c’est-à-dire inamovible, restant inchangé tout au long des siècles qui passent. Il faut donc savoir appréhender les changements, les variations, les écarts ou ruptures selon l’objet (vêtement) dont il est question. Si l’on se réfère à un grand chercheur spécialisé dans la sociologie et la psychologie des formes vestimentaires (Daniel Roche), il faut distinguer trois principaux critères :
- Les métamorphoses des vêtements populaires se mesurent à la fréquence des formes signifiées par les différentes appellations donné à un type de vêtement
- La variété des tissus qui provoque la réceptivité ou la sensibilité des personnes qui regardent ; cela à une influence sur l’aisance et le conforts potentiel de la « pièce »
- Enfin la ou les couleurs dont l’appréciation dépend bien sûr du client potentiel, mais aussi de l’intuition, des goûts et des essais du créateur.
Formes, tissus et couleurs
Ces trois éléments jouent isolément ou ensemble dans les ruptures typologiques, comme dans les transformations à l’intérieur d’un même type. Ainsi, une étoffe synthétique peut remplacer une étoffe en fibres naturelles dans la confection d’une gallabiyya, sans grand bouleversement apparent même aux yeux des initiés. Les pièces forment des systèmes plus ou moins fermés, le costume dit trois-pièces en est un. Elles ne sont pas rigides mais évolutives. Juxtaposition, superposition, se combinent selon des règles complexes. Grâce à la transparence de certaines étoffes, grâce à la variation des longueurs et des échancrures, ce qui est « dessous » peut être visible et ce qui dépasse peut paraître pratiquement « à côté » par rapport à ce qui est « dessus ». Rencontres et jeux du superposé avec le juxtaposé, le parler cairote est éloquent à ce sujet : « taht » = dessous, « min barra » = de dehors, « min gowwa » = de dedans, « gowwani » = intérieur, rentrant comme des pointes de foulards que l’on glisse à l’intérieur d’un col. Prenons comme exemple la ‘abaya masculine. Il s’agit d’un manteau court et ouvert sur le devant, il n’a pas de manches, mais on y pratique des trous pour faire passer les bras. C’est l’habit caractéristique des bédouins. Mais il n’est pas uniquement masculin ; ce vêtement en laine, de couleur sombre, que les paysans passaient sur une gallabiyya a fini, au fil du temps par perdre de son importance.
Une forte tendance mode pour l’abaya
Mais on constate aujourd’hui un regain d’intérêt pour la ‘abaya, désormais portée en châle ou jetée sur les épaules comme une cape et sur un costume occidentale. Là, il ne s’agit pas d’un retour à l’identique, le modèle « moderne » est souvent moins ample et lorsqu’il est enfilé comme un manteau, il laisse les avant-bras découverts.
Un second exemple, féminin celui-là, appelé ‘abaya aussi. En tissu synthétique noir et blanc, il est souvent orné d’une frange dans sa partie inférieure, et de larges jours en particulier autour de la taille et sur les épaules. Quelques fois, il est réhaussé de broderies argentée ou dorée. Tel qu’il est porté, ses deux pans maintenus croisés par la pression du coude et de l’avant-bras gauche, ou réunis au niveau de la poitrine par une main, qui en saisit les bords d’une poignée, le tout dans mouvement souple qui provoque des effets de drapé. En fait, il dessine une silhouette assez semblable à celle des femmes qui portent la melaya leff ; il s’agit d’un grand drap noir, lui aussi, mais d’une étoffe plus lourde, dans lequel s’enveloppaient les femmes du village.
Au Caire, l’usage de la melaya a en quelques années à peu près disparu. La nouvelle ‘abaya féminine appartient comme la melaya à un genre populaire urbain. Mais comme la melaya,même si sa fonction est , en principe de dérober au regard, elle est une tenue « ouverte ». Plus ouverte même, puisqu’à la différence de son austère modèle venu d’Arabie ou de la ‘abaya portée dans certaines régions de Syrie, elle laisse la tête dégagée.
Un dernier exemple, une robe masculine adoptée au sein des classes moyennes comme tenue d’intérieur et d’extérieur pour l’été, pour le loisir, à la place notamment du pyjama ou de la gallabiyya néo-traditionnelle. Sans manches ou à manches très courtes, avec un col échancré en V et une grande poche à la hauteur de la poitrine,, souvent augmentée d’un galon ou de broderies, elle est très semblable à celle que l’on propose aux touristes au Maroc ou en Tunisie. En fait, sa forme est plus proche de celle d’une ‘abaya dont la largeur aurait été réduite, et qui n’aurait pas été « fendue » de haut en bas sur le devant, que des différentes variétés de gallabiyya proprement dites qui sont toutes composées de longs panneaux d’étoffe trapézoïdaux. En Syrie, on l’appelle couramment gallabiyya maghribi
Nouvelle ‘abaya et gallabiyya « chic »
Au début des année 70, on assiste au déclin de la melaya leff au profit d’une robe noire d’extérieur, la « gallabiyya samra » accompagnée d’une longue écharpe de mousseline de la même couleur (tarha). La nouvelle ‘abaya féminine apparaît plus tard, sans toutefois supplanter cette tenue. Pour circuler dans le voisinage, faire quelques courses à proximité de leur logement, les femmes la passent sur la robe d’intérieur, qui est souvent une nouvelle gallabiyya en version égayée,chic.
La ‘abaya féminine est parente de la melaya par le fait que non seulement on s’y drape, mais qu’elle permet elle aussi une transition rapide vers le dehors. Mais elle reste un habit intermédiaire porté dans un espace limité.
Le Caire : mode et retour aux sources
Au printemps 1988, un très beau défilé avait été organisé dans le salon doré du Palais Manial au Caire, où la présentation de modèles conçus par Chant Avedissian (artiste égyptien qui a méthodiquement analysé les textiles et les coupes traditionnelles) alternait avec celle de robes paysannes ou bédouines dont son travail s’inspirait.
Il existe trois groupes sociaux qui jouent un rôle décisif dans la propagation de la nouveauté.
- Les femmes. Très concernées par les questions d’habillement et intéressées par les nouveautés, elles ont vite fait de les découvrir et de les faire connaître.
- La jeunesse, elle aussi qui au Caire, autant qu’ailleurs est particulièrement réceptive aux sollicitations du changement. Et il n’est pas toujours aisé de discerner, au moment où elle les adopte, si les innovations lui sont spécifiques ou si, avec le temps, elles seront partagées par d’autres classes d’âge.
- Enfin, depuis une quinzaine d’années, les travailleurs émigrés dans les pays du Golfe, nombreux (il n’y a pas une famille qui n’ai son ou ses émigrés) sont des relais actifs dans le transfert de modèles qu’ils diffusent après se les être appropriés en s’exhibant dans les rues fièrement et également en les offrant en cadeaux lors de leurs séjours.
Le film de Muhammad Khan« Retour d’un citoyen » (1986) est fort éloquent à ce sujet : lorsqu’il rentre en Egypte après plusieurs années d’émigration, le héros est vêtu à la maison d’une ‘abaya « fantaisie », à la différence de ses deux frères restés au pays, l’un portant pyjama (habit que beaucoup d’égyptiens mettent même pour sortir), l’autre une gallabiyya.
Le Caire, mode et médias
Les médias, on s’en doute, ne sont pas en reste pour la diffusion des nouveautés et le succès ou l’échec d’une mode. Les exemples sont légions. Le cinéma égyptien pourtant largement diffusé dans le monde arabe, ne faisait pas la « réclame » comme on disait à l’époque de l’habillement égyptien traditionnel. Donc, années 50, 60 et même début 70, l’influence du cinéma était quasi nulle dans la propagation de la tenue des muhaggabât, puisque celles-ci étaient fort peu représentées. Les vêtements traditionnels (pour les femmes, une robe longue et un turban ou un voile) se voyaient surtout sur des personnes âgées.
Parmi les médias « traditionnels » il y a les magazines locaux ou importés, recherchés non seulement pour les modèles qu’ils publient, mais aussi pour les « patrons » qu’ils proposent. Il faut ajouter le rôle très important des tailleurs de quartier, des « petites couturières », voisines, parentes, professionnelles ou semi-professionnelles… Ajoutons à cela, aujourd’hui la puissance de la toile, les réseaux sociaux qui permettent de faire émerger des talents individuels qui finissent par s’imposer à tel point que les « médias lourds » se les approprient, en font des stars. Certaines de ces nouvelles stars font une carrière éphémère,d’autres finissent par lancer leur propre marque.
Valeurs traditionnelles égyptiennes, voile et modes
Il existe une robe (gilbâb) descendant jusqu’aux chevilles, tombant depuis les épaules, avec des manches longues et une échancrure au ras du cou. Elle est faite d’une étoffe assez lourde, coton ou laine monocolore dans des tons éteints avec des nuances brunes, bleues ou grises.
La coiffe (khimâra), d’une manière plus légère, blanche ou de couleur sobre, est ajustée sur le front pour que rien sur les cheveux ne dépasse, elle entoure le visage et cache le cou. Elle ressemble à la guimpe des nonnes occidentales. Certaines femmes égyptiennes ajoutent des gants,une voilette couvrant tout le visage (niqâb), et même quelques fois des lunettes noires.
Cela tient à la fois du religieux mais aussi de questions socio-économiques. Il existe désormais un vaste marché, avec ses stratégies publicitaires et ses modes. Si l’on en juge par son prix, par l’éclectisme des modèles proposés, ( robes, chasubles, tailleurs et gallabiyya d’inspiration bédouine, tuniques et pantalons, turbans et chapeaux en tout genre…), par le luxe, la variété des tissus et des matières dans la mode en Égypte, y compris la soie, le cuir et la fourrure et par les situations photographiées pour présenter les modèles (voitures, plages, court de tennis, bateaux de croisières, monuments célèbres etc…
Le monde des lectrices d’un magazine comme Anaqa wa Hichma (Elégance et Décence) est celui des muhaggabât « petites-bourgeoises » ou même bourgeoises tout court avec des signes vestimentaires à la fois modernes et conformes à une certaine interprétation de l’Islam. Un univers vestimentaire fait généralement d’une robe longue, ou un corsage, en hiver un ample pull-over à ramages avec une jupe tombant jusqu’aux chevilles, qui vont de pair avec une coiffure formée de deux foulards entourant le visage et couvrant la nuque et le cou, souvent couronnée par une tresse d’étoffe ou une cordelette, qui porte quelques fois, à l’arrière, là où elle se noue une fleur artificielle, voire un papillon.
La mode et le business vont surfer ainsi sur les multiples variations qu’offre l’habillement traditionnel avec des formes renouvelées, plus ou moins dépouillées, colorées ou non, austères ou coquettes. Et, selon les fluctuations de la mode internationale, par exemple le rembourrage des épaulettes qui redessine la silhouette en élargissant les épaules. Ou en faisant appel à des réminiscences pharaoniques, comme par exemple la façon de disposer un foulard que l’on observe fréquemment, et qui évoque le nemès ou kleft de l’Egypte antique : enserrant le front, il retombe sur la nuque et les épaules en formant deux pans qui encadrent le visage. C’est là une image égyptienne que l’on ne retrouve dans aucun des pays voisins.