Quand l’occident s’empare de la mode musulmane

Juin 4, 2022 | Mode musulmane, Modest Fashion, vêtements musulmans

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Dès le mois de mars 2016, une nouvelle surprenante fait le tour du monde : une campagne publicitaire de la marque Dolce & Gabbana lance une ligne de hijâb et ‘Abaya, vêtements traditionnels de la mode musulmane, la Modest Fashion ou mode modest. La marque plutôt connue pour son penchant catho de charme, ses mannequins façon siciliennes portant grosses croix semble tourner casaque et… se convertir à l’Islam !La vérité est plutôt de l’ordre de l’intérêt financier et disons-le, de l’opportunisme. La mode Modest est devenue un marché porteur !

Un bel éventail de vêtements traditionnels modest est présent dans les cultures du monde entier. N’hésitez pas à lire nos guides de mode musulmane dans le monde. Des pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie du Sud, de l’archipel malais et de l’Europe du Sud-Est – une étonnante diversité de couleurs, de motifs, d’imprimés et de matériaux offre une mode tendance, inclusive , éthique, respectueuse des valeurs et innovatrices.

La mode musulmane : concept de la modest fashion

Si les vêtements musulmans sont le reflet d’une culture d’un peuple croyant, la mode dites modest est d’abord révélatrice d’une tradition de savoir-faire ancestral, d’une conception textile locale et artisanale et l’utilisation des matériaux cultivés sur les territoires. La mode modest est représentée par des vêtements amples et couvrants aux tissus orientaux ornés de belles broderies ethniques, utilisation de teintures organiques, des vêtements au textile opaques et de qualité.

Utilisé par les fabricants et les marques internationales de mode vestimentaire, le terme de  modest fashion est aussi synonyme de mode pudique ou mode modest. Comme vous pouvez le voir, il n’y a pas qu’une seule définition pour décrire le concept traditionaliste de la mode musulmane. Sachez avant tout que la modestie est d’abord un comportement que chaque personne veut véhiculer à travers un style vestimentaire. Elle veut être la représentation d’une appropriation du corps féminin avec des valeurs majeures de respect.

La Modest fashion se veut être une mode libertaire permettant aux femmes qui le souhaite reprendre le pouvoir sur leur corps en choisissant des vêtements sans devoir suivre les dictats d’une mode ou l’hypersexualisation est imposée par la société. La modestie est une manière d’exprimer autrement sa féminité avec des vêtements ne soulignant pas les formes du corps tout en valorisant une silhouette plus féminine.

Modest Fashion : origine et histoire

Ayant séduit plusieurs civilisations et quel que soit leur pratique religieuse dans l’histoire, Le concept de la modestie et mode modest fashion a su traverser les siècles et se moderniser. En 1950, la mode Modest était la norme en Angleterre ou les femmes portaient des vêtements à ourlets longs et des manches longues. La mode musulmane a su évoluer avec le temps comme le témoigne Shammie Hammouda, Directrice de Umma Models, une agence de mannequinat Modest Fashion ou encore Hana Tajima, une styliste japonaise qui a collaboré avec la marque Uniglo sur une collection modest style.

Uniqlo x Hana Tajima

Uniqlo x Hana Tajima : une collection qui célèbre la diversité – crédits fashioniseverywhere.com

La Modest Fashion : un marché porteur

Secteur très dynamique du marché de la mode, le marché de la mode modest s’est offert une croissance de 11 %, elle représentait 280 millions de dollars en 2018.Selon le The Global Islamic Economic Report de 2019/2020,  les prévisions de croissance du marché à l’aube 2024 de  la mode modest pourrait dépassé les 500 milliards de dollars.

Source : state of the global Islamic économy report 2019

Les marques internationales s’intéressent de plus en plus à la mode Modest

En effet, depuis plusieurs années, La Modest fashion gagne de plus en plus en popularité dans le monde. Notamment en Amérique, en Angleterre et en Asie, les grandes maisons de mode et les stylistes organisent régulièrement des événements dédiés à la Modest fashion comme le célèbre #ModestFashionWeek. Pour les spécialistes observateurs des courants de mode dans le monde, cette population constitue une nouvelle cible pour des marques de luxe occidentales qui stagnent de plus en plus et sont à la recherche de nouveau produits et circuits et publics pour relancer leur croissance.

Cet engouement et cette expansion de la Modest Fashion des marques de mode classique et le concept de la mode inclusive est dû à la forte demande de leurs clientes pour des vêtements Modest. Face à ce marché de plus en plus porteur, les marques ont compris qu’il était important de se positionner pour répondre aux attentes des clientes qui recherchent des vêtements couvrants mais tout en étant modernes.

modest fashion défilés - mode modest

Les actrices: Mélanie Lynskey et Sophie Turner ont opté pour des robes ultra couvrantes et colorées, de quoi faire un réel clin d’œil aux adeptes de la Modest fashion. ( 94ème édition du Vanity Fair 2022)

 

La Modest Fashion, pour une mode inclusive

Dans le concept de la Modest Fashion, on entend souvent parler de mode inclusive. Mais l’inclusion c’est quoi exactement ? En définition généraliste, l’inclusion est le fait d’inclure un élément dans un tout. Au niveau sociétale, l’inclusivité ne laissera personne de coté quel que soit leur différence. Les personnes identifiées par un handicap, un certain niveau social, des origines ou religions ne seront pas mises à l’écart dans une société inclusive. Dans une mode inclusive comme la Mode modest, tout le monde doit pouvoir exprimer sa personnalité propre sans chercher juste le paraitre avec des styles fades ou trop courants.

Non , le fondement de la mode et les exigences doivent se démarquer des clones des magazines, des mannequins anorexiques avec des cheveux colorés et des yeux bleus azur. La mode inclusive casse les codes et passent au-dessus des préjugés oppressant de la société. Les marques de mode qui réussissent à percer dans la mode modest ont bien compris qu’il est important de proposer des modèles vestimentaires différents dans leurs défilés pour répondre à toutes les personnalités.

C’est pour maintenant

La mode dans le monde va dans le sens d’une mode inclusive et c’est tant mieux. Une industrie de mode ou tous les types de beauté, de styles et de morphologies se sentent représentés ! La demande était là, il fallait juste savoir y répondre.

Face aux évolutions des sociétés et leurs diversités ou les luttes sont constantes (comme la discrimination ), il est important de faire bouger les mentalités comme l’a fait Savage x Fenty. La marque de lingerie de Rihanna pousse les représentations de la diversité : en Février 2021 elle embauchait ainsi sa première mannequin atteinte de nanisme.

Dans ce même esprit de liberté, Nabira notre boutique en ligne de mode musulmane et modest propose des lignes de vêtements permettant à chaque femme de libérer son style et ses propres valeurs sans être jugées. Les modèles sont présentés par des femmes représentatives de multi culturalité.

abayas collection Nabira

Abaya collection luxe – Marque nabira

Modest fashion, pour une mode éthique

Dans un principe de durabilité mais aussi d’enjeux sociétaux et environnementaux, la mode éthique va dans le sens des valeurs de la mode modest. Une bonne alternative avec des processus de production éthiques, plus respectueux pour l’homme et l’environnement. Cela passe par la traçabilité et les moyens et les matériaux utilisés dans la production des vêtements.

Mode modest - mode ethique

Dans cet objectif, il faut permettre aux consommateurs de se tourner vers une mode éthique et un shopping responsable. Consommer différemment déjà en vérifiant les origines des vêtements et leur composition. Dans cet optique, il est important de vérifier la durabilité du vêtement soit favoriser dans ses achats des vêtements qualitatifs. Type et qualité du tissu, provenance, process de fabrication pour s’assurer de la longévité du vêtement pour ne pas sur-consommer.

Dans la mode, les vêtements conçus de manière éthique sont une vrai challenge face à une société toujours plus consommatrice. A ne plus savoir quoi mettre devant un dressing qui déborde, ne voulant plus porter un vêtement qui a perdu tout son attrait original…

Comment s’habiller plus éthique ?

La première option est de distinguer les matières premières utilisées pour le vêtement : Dans la composition, notée sur les étiquettes,  privilégiez les fibres textiles naturelles , végétales ou animales par rapport aux fibres chimiques et fibres synthétiques ( aux dérivés de pétrole).

Les traitements du textile sont aussi à analyser ( teinture, ennoblissement…) et leurs propriétés. En effet, on se doute qu’un textile imperméable, infroissables, teint aux multiples couleurs ne l’est pas de manière naturelle et que le vêtement a subi des traitements chimiques.

 

Le saviez-vous ?

Aujourd’hui l’industrie textile et ses processus de fabrication est bien plus polluante que l’industrie pétrolière. Sans parle des conditions de fabrication dans certains pays du monde : salariés sous-payés, des demandes sans cesse grandissante de productivité sont des exemples qui démontre les méfaits de la mondialisation. Aujourd’hui le respect de l’humain doit être un enjeu essentiel dans l’économie et la mode responsable commence à percer basé sur l’équité le respect et la bienveillance. Aujourd’hui tous les consommateurs doivent être sensibilisés à ses percepts et devenir des conso’acteur.

Mode Modest Fashion: Quelques marques emblématiques pionnières

La nouvelle ligne lancé ainsi par Dolce & Gabbana a fait beaucoup de bruit ; en réalité cette tendance s’inscrit dans un mouvement plus vaste entamé dès 2007 et appelé « modest fashion » qu’on pourrait traduire par « mode pudique ». Cette tendance est d’abord apparue chez les chrétiens évangéliques aux États- Unis, puis chez les juifs hassidiques. Ce n’est que par la suite que le mouvement a été repris par des start-ups, attirées par les succès de la mode musulmane auxquels ils ne s’y attendaient pas et surtout la crainte que cela ne provoque des contestations, des remous dans le monde arabo-musulman en provoquant l’effet contraire de ce qui était attendu, c’est-à-dire le rejet et l’opprobre sur la marque. Surprise : il n’en fut rien ! Et le succès était à portée de main.

Dolce et Abaya

Connue pour ses penchants catholiques, la marque Dolce & Gabbana a dévoilé une première collection de mode modest fashion et mode musulmane : Une collection « Abaya » composée de hijabs (foulards classiques) et d’abayas (tenues longues portée par-dessus les robes et les pantalons).Les pièces étaient de couleurs sobres,, arboraient des motifs fleuris (marguerites, roses) et des broderies délicates.

Dolce gabaana : mode modest fashion

La célèbre griffe de prêt-à-porter de luxe produisait pour la première fois une collection « musulmane friendly » vendue en Europe et dans les pays du Moyen-Orient. Dans ses arguments, elle rappelle que les musulmans représentent 22% de » la population mondiale et leurs exigences vestimentaires sont trop délaissées par les grandes maisons de couture et de prêt-à-porter européennes. Sous- entendu : c’est injuste, c’est une forme de rejet, mais nous, nous sommes ouverts, tolérants et nous trouvons leur modèle vestimentaire attrayant et digne d’être connu dans le monde entier.

Comme nous le disions plus haut, si la nouveauté à quelque peu choqué en Occident et suscité des débats, ( notamment chez les féministes), elle a été accueillie en pays musulmans avec intérêt et même saluée, sauf que des remarques raisonnables et justes ont été émises par des spécialistes musulmans : le modèle engagé pour incarner la campagne était de type caucasien ! c’est-à-dire une européenne, alors que des femmes mannequins arabes et musulmanes, belles à souhait et très professionnelles existent et auraient été prêtes à travailler pour la marque !

Là, la maison italienne préfère botter un peu en touche et éviter le débat qui pouvait déraper sur des questions de racisme, par exemple. Dans un communiqué, elle préfère évoquer son goût pour l’orientalisme plutôt que le making-of de cette première campagne-test. La collection Abaya évoque ainsi « une rêverie à travers les dunes du désert et les cieux du Moyen-Orient : une histoire de vision enchanteresse autour de la grâce et de la beauté des merveilleuses femmes d’Arabie ».

La firme japonaise Uniqlo

UNIQLO Hijab Minimalis

UNIQLO Hijab Minimalis

Hé oui ! On attribue au Prophète ce hadîth (propos) : « cherchez la science même jusqu’en Chine ! ». La mode musulmane est allée encore plus loin : elle a atteint le Japon ! La firme japonaise Uniqlo, voyant que « la mayonnaise » prenait bien, s’est engouffrée dans le créneau. Pour être encore plus crédible auprès du public des femmes musulmanes, en 2015, elle choisit la styliste et blogueuse anglo-japonaise et musulmane Hana Tajima pour lancer une collection spéciale vendue en boutique à Singapour et en ligne. Hana, très active et déjà connue, au vu du succès, fini par créer sa propre marque : Maysaa.

uniqlo collection hijabs

La célèbre marque japonaise Uniqlo lance sa première collection de hijabs et de “modestwear” aux Etats-Unis

Signalons un fait curieux : l’annonce de la collaboration de Tajima et du géant japonais s’est faite avec beaucoup de prudence, sans jamais faire aucune référence à l’Islam ! Habilement et discrètement, la marque a mis en avant surtout le « confort » de pièces faîtes pour la « détente ». Pantalons amples, jupes longues, blouses fluides, et au milieu, l’air de rien, des abayas et des hijabs… Bref, l’art de soudoyer, attirer, satisfaire des femmes croyantes, plutôt jeunes, sans donner l’impression de les cibler spécialement.

Hana Tajima, dont nous parlions plus haut explique que pendant longtemps les médias et l’industrie de la mode ont volontairement entretenu la confusion entre beauté et sexualité. Et qu’il était important pour elle de donner voix à une autre manière de voir les choses.
Elle affirme qu’elle n’a aucun cahier des charges inspiré des textes religieux, elle considère que chaque femme a sa propre définition de la pudeur. Elle concède qu’il y a quand même quelques lignes directrices : des manches trois-quarts ou plus, et des ourlets au niveau des chevilles. Elle pense que la mode et la spiritualité soient deux choses opposées, mais c’est vrai qu’il devient difficile de concilier les deux pour cause de manque de diversité. Ce discours a séduit et les produits suivants de Tajima sont arrivés jusqu’aux Etats-Unis !

 

« Nos vêtements stylisés, aux belles étoffes, n’épousent pas le corps. Ils ont été conçus pour mettre en valeur la femme en lui offrant un confort tout au long de la journée », a expliqué Hana Tajima, en se félicitant de sa collaboration fructueuse avec le géant Uniqlo.

H&M, l’alibi de la diversité

Le géant suédois a pris leçon chez la firme japonaise : prudence, on marche sur des œufs ! On joue la carte de l’ouverture : il n’y aura pas une collection dédiées aux musulmanes, pour ne pas être jugé de « segmentation » comme on dit dans le métier. Un peu comme McDonald avec son slogan « venez comme vous êtes », H&M a plutôt valorisé la diversité de ses clients et donc surtout celle des jeunes femmes modernes et voilées.
Dans Close The Loop, campagne dédiée au recyclage de vêtements, le comble de la ruse et de l’habileté : on voit des handicapés, des rockers, des bourgeois, des stars… et une jeune femme coiffée d’un hijab ! Et la vraie star de ce film publicitaire, ce fut finalement cette jeune inconnues appelée Mariah Idrissi.

C’est l’effet boule de neige. Âgée de 24 alors, cette Anglaise d’origine pakistanaise et marocaine a fini par ouvrir un salon d’esthétique à Londres. En fait, elle a joué, le mannequin pour H&M pour représenter une nouvelle génération nommée « hijabistas » ou « mipsterz, deux néologismes pour désigner une certaine jeunesse férue de mode et néanmoins voilée. Le visage de la jeune femme a fait le tour du monde, car H&M n’avait encore jamais mis en avant une musulmane voilée dans une campagne internationale. Mais l’idée géniale chez le géant de la fast-fashion a été de cibler là une communauté d’esprit plutôt que la femme musulmane. La professeure Reina Lewis (https://www.letemps.ch/lifestyle/derriere-hijabchic-phenomene-mipster ) : «Close The Loop était centrée sur la diversité et c’est, je crois, la première fois que la religion apparaît ainsi dans ce contexte, aux côtés d’autres communautés. Pas seulement la religion musulmane : le spot mettait également en scène un blogueur sikh, ce qui a aussi fait grand bruit au Royaume-Uni.»

H&M enfonce le clou en insistant sur le fait que Mariah Idrissi n’est pas l’une de ses égéries mais un mannequin parmi d’autres. La porte-parole de la firme suédoise martèle :

« Nous nous adressons à tout le monde, en étant le plus démocratique possible ».

On ne pouvait rêver meilleur buzz. Reina Lewis analyse le phénomène ainsi : « Beaucoup de gens se sentent ignorés par la mode, que ce soit par les marques ou par la presse spécialisée. C’est encore plus marqué pour les femmes : la majorité d’entre elles ne s’y reconnaissent pas. La vitesse à laquelle la nouvelle de la participation de Mariah Idrissi à cette campagne s’est répandue atteste l’appétit des musulmanes de se voir représentées ».

La mode, pour réconcilier traditions et modernité

Depuis une trentaine, on le sait, en France et dans d’autres pays européens, il y a régulièrement des débats (et des disputes) sur ce qu’on appelle l’» affaire du voile ». Ce n’est pas notre sujet, mais il se trouve que ce que l’on appelle « le voile islamique » est non seulement dans les débats et les préoccupations des citoyens et des politiques, mais aussi dans les pays arabo-musulmans eux-mêmes.
Ici ou là, la question divise, mais concernant les pays arabo-musulmans (c’est-à-dire en incluant tous les pays musulmans mais non arabes, depuis l’Afrique jusqu’à l’Indonésie), il semble qu’un consensus se soit établi, puisque la majorité des femmes musulmanes ont adopté le voile, selon les coutumes de leurs pays en matière de forme, de couleurs ; la façon de le porter et dans quelles circonstances il devient absolument obligatoire. Les hommes aussi ne sont pas en reste, mais ils sont moins nombreux à revenir aux habits traditionnels à caractère religieux.

Mais le plus étonnant est que ce retour « aux sources », ce regain de religiosité qui s’exprime en quelque sorte publiquement, parfois de façon trop « forcée », il faut l’avouer, a fini par prendre, se généraliser à l’ensemble du monde arabo-musulman et… à débarquer (pour ne pas dire déborder) en occident. Pas seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, au Canada et dans une certaine mesure en pays latinos.

L’habit musulman et l’hijab devient une mode

Il faut aussi préciser qu’avant de se généraliser (presque), le voile a été un moment une contrainte sociale pour des raisons multiples (politiques, religieuses, sociales…), puis il est de venu un moyen commode qui permet aux femmes jeunes ou âgées de pouvoir sortir, et fréquenter des lieux où auparavant elles n’avaient pas droit de se rendre : parcs publics, marchés, salles de spectacles, supermarchés etc…
Dans les pays arabo-musulmans eux-mêmes, les industriels du textile, de l’habillement, les stylistes ont vu là l’occasion de développer un marché important avec un double avantage : faire des affaires, bien sûr, mais aussi « servir la bonne cause », puisque toute femme qui voudrait porter le voile aura l’embarras du choix à des prix qui lui conviennent. Elle pourrait aussi, si elle voyage dans d’autres pays musulmans, rapporter d’autres modèles si elle veut se distinguer, par exemple.

Mais les professionnels ne se sont pas arrêtés à la confection en masse de voiles pour répondre à une demande toujours grandissante. Ils savent que les femmes, généralement aiment être élégantes, sont exigeantes sur les coupes, les formes, la nature des tissus, sans parler de la conformité aux principes de l’Islam. Elles savent que la religion est largement tolérante à partir du moment où elle acceptent de sortir voilées. Surtout – et cela est très important – qu’il n’y a pas de fait un voile canonique en Islam. Le mot canon vient de l’Arabe qânûn, qui veut dire loi (religieuse). Sans rentrer dans des détailles superflus, disons que les théologiens musulmans (Oulémas) sont d’accord sur le fait que la femme doit porter un voile à l’extérieur.

Mais ils sont divisés sur la forme, la longueur, les couleurs, la façon de le porter etc… Ca donne une large liberté aux femmes quant à leurs choix, mais aussi aux stylistes, aux couturiers, d’adapter leur savoir-faire à un domaine spécifique soumis à des règles religieuses et morales largement partagées par la société.

Non seulement les professionnels se sont mis à perfectionner, à innover dans le domaine de la mode modest  aussi bien pour les femmes que pour les hommes (dans une moindre mesure), mais devant le succès, l’intérêt du public (même chez les couches peu aisées), ils se sont mis à organiser des salons spécifiques, des boutiques exclusivement réservées au genre et bien sûr des défilés de mode musulmanes, diffusés même par les télés ! Donc regardés en famille, avec parfois la bénédiction des autorités religieuses ou au moins leur accord tacite.

Le Ramadan, période faste pour la mode musulmane ?

Mango, Hilfilger, Dkny : le Ramadan aiguise les appétits !

Le Ramadan, est un mois de jeûn, d’austérité sur le plan comportemental, d’entraide surtout envers les plus démunis, mais c’est aussi une série d’évènements festifs avec le f’tour (rupture du jeûn), le s’hur, repas de l’aube avant le début du jeûn et enfin, le clou de la fête : la fin du Ramadan avec en apothéose la fête de l’Aïd, jour qui marque une sorte de « libération » à presque tous les niveaux. Femmes, hommes et enfants ; chacun à droit à mettre ses plus beaux habits. On vous laisse imaginer toute la ville rivaliser en élégances … et les firmes de modes qui s’étaient préparées à l’évènement se frotter les mains !

Tamara Al-Gabbani

Tamara Al-Gabbani appears to be having a blast at the Winter at Tantoura festival. Instagram/@tamaraalgabbani

DKNY est le premier à s’être lancé sur le marché. A partir de 2014, la marque new-yorkaise, propriété du groupe LVMH, propose une collection d’une douzaine de pièces dessinées par la créatrice Tamara Al Gabbani, basée à Dunaï et la journaliste de mode koweïtienne Yalda Golsharifi. Du noir, du blanc, du jaune ocre, quelques motifs fleuris mais sobres ; voilà ce qui caractérise cette ligne spécialement conçue pour le Ramadan. Le site britannique de vente en ligne « Net-à-porter » s’y met à son tour et lance sa collection (2015) . Suivi immédiatement par Mango qui annonce l’arrivée dans le monde arabe, mais aussi en Iran. La firme espagnole se dote d’un département spécial, chargé des nouvelles collections, capable d’adapter son offre aux différentes zones géographiques dans lesquelles se situent ses quelques 2700 boutiques !

Dans la foulée, Tommy Hilfiger embraye à son tour avec là aussi une douzaine de pièces : vert émeraude, noir et blanc, destinées au Moyen-Orient pour le Ramadan.

Pour Frédéric Godart (https://fr.wikipedia.org/wiki/Sociologie_de_la_mode )

« Les grandes marques s’adaptent en discutant avec les distributeurs locaux, notamment pour savoir ce qui, dans les collections peut plaire aux acheteurs du secteurs. Par exemple, la couleur verte est très présente dans les échoppes en Arabie Saoudite, pas sur les marchés occidentaux ».

Un peu choquant quand même pour les croyants intransigeants : le mois de jeûn devient un mois de consommation. En effet, d’après Reina Lewis :

« Avec une population jeune et croissante, ces consommateurs constituent désormais un véritable segment pour l’industrie florissante du marketing musulman, qui jusque là se concentrait sur la finance et l’alimentaire. Désormais, il faut compter avec la mode et le lifestyle, des secteurs de niches jusque là ignorés, en particulier en Europe ».

Elle considère que le Ramadan « est même considéré par certains professionnels du marketing comme un rendez-vous similaire à Noël : un moment opportun pour acheter ».

Modest fashion style et réseaux sociaux

Des blogueuses qui montrent la voie

Habit musulman femme gris et noir- mode musulmane

Sur les réseaux sociaux, une véritable irruption de la jeunesse musulmane, grâce à Internet. Les blogs les plus en vu sont aux Etats-Unis. Iman Ali, étudiante dans une université au Michigan a diffusé sur The Hijablog des modèles colorés où elle mêlait des pièces de créateurs et grand public. Elle a ensuite fermé le site Hijablog pour migrer sur Instagram, où elle s’affiche sans hijab. Elle considère que l’élégance et la religion ne sont pas en opposition binaire, ils peuvent cohabiter et qu’avant, le hijab était conditionné par les coiffures et coordonné à des survêtements multi-couches en matières synthétiques, à manches longues, souvent dans des tons criards. Aujourd’hui, les femmes osent se démarquer.
Et il est vrai, que dans un pays comme l’Egypte par exemple, profondément sous pression des islamistes rigoristes, des Egyptiennes portent du Zara ou du Mango sans que cela leur pose problème, mais avec des pièces plus larges et plus couvertes. Le style des foulards a lui aussi changé., et dans le bon sens. Maintenant, il est considéré comme un accessoire et il a gagné en élégance.

Les blogueuses tendance mode musulmane se multiplient sur les réseaux sociaux

Généralement bien accueillies, certaines gagnent en célébrité très rapidement, pour s’installer à leur compte en fondant leur marque, d’autres en migrant vers le journalisme de mode spécialisé en habits musulmans.

  • Noor Tagouri par exemple,journaliste américaine d’origine lybienne, est un cas type d’ »empowerment » à la musulmane. Elle diffuse sur Youtube ses reportages à plus de 15 000 abonnés et sur Instagram pour plus de 100 000 abonnés ! Son ambition : présenter un jour le journal sur une chaîne américaine, coiffée de son hijab !
  • Reina Lewis relève l’importance de ces blogs qui véhicule une image apaisante qui valorise subtilement la féminité musulmane. Pour elle, depuis les attentats du 11 septembre et ceux qui ont suivi, les images des musulmans dans la presse sont devenues anxiogènes, associées à la notion de danger. On ne voyait jamais de femmes voilées pour illustrer des sujets de mode.

Depuis, des plus en plus de femmes et parfois non musulmanes ont commencé à revisiter le hijab, comme nouveauté, pour certaine par coquetterie ou pour paraître originales. Il faut aussi tenir compte que toutes les musulmanes ne se couvrent pas de la même manière et pour les mêmes raisons. Pour certaines, c’est un acte d’affirmation de soi, de fierté.