Nous partons à la découverte de la mode turque et notamment celle dite « pudique » ou islamique. C’est-à-dire celle qui permet aux femmes musulmanes d’être élégantes, à la mode tout en respectant les préceptes de l’Islam notamment en matière d’habillement. Or cette mode en Turquie comme ailleurs va puiser dans le patrimoine du pays, pour l’améliorer, le mettre au goût du jour, en suivant parfois- pourquoi pas – les tendances les plus courantes à l’échelle internationale.
Avant de parler mode, voyons ce qu’étaient les vêtements traditionnels portés par la femme et les hommes en Turquie. Comme partout dans le monde arabo-musulman, les stylistes pour la mode moderne, inventent bien sûr. Ce sont par définition des créateurs. Mais le plus souvent, ils se basent sur ce qui existe déjà. C’est-à-dire le patrimoine vestimentaire de leur pays ou du pays où ils ont choisi de travailler ou de servir…
Les habits traditionnels turcs
Si l’empire Ottoman est bien loin derrière nous, il a laissé des traces dans les mémoires et les costumes. Fez, Caftan, Sarouel, revisitons rapidement cet empire où tant de traditions vestimentaires se sont agrégées…
« Vestiges » vestimentaires Ottomans
Hormis dans quelques villages reculés de Turquie, les hommes s’habillent aujourd’hui de façon occidentale. Les pantalons bouffants et les gilets colorés que les turcs portaient à l’époque de l’Empire Ottoman ont laissé place aux jeans, pantalons à pince et aux T-shirts moulants. C’est lors des mariages ou de fêtes traditionnelles que l’on peut voir défiler les jolis costumes traditionnels d’antan. Pantalon large, style Sarouel, veste courte, turban et/ou Fez et large ceinture, c’est ainsi que s’habillaient les turcs à l’époque de l’Empire Ottoman.
Le Caftan à l’ancienne
Presque tous les pays arabes vécurent sous l’égide de l’Empire Ottoman, exception faite du Maroc, Le caftan est importé d’Andalousie après que les populations andalouses arabo-musulmanes et juives eurent quitté le pays, pour se réfugier au Maghreb. Si les Caftans Marocains, Algériens et Tunisiens ont connu des évolutions, ces Caftans « mauresques » amenés d’Andalousie furent réservés à une élite. Dignitaires turcs, notables tunisiens ou algériens, ils sont les seuls à porter le Caftan. On ne peut donc le désigner comme faisant partie du costume traditionnel ottoman.
Fez, chemise, sarouel et gilet turc
Sous l’Empire Ottoman, la plupart des hommes étaient habillés d’une tenue traditionnelle formée d’un gilet (Yelek en turc), d’une chemise appelée « gomlek », d’un Fez et d’un Sarouel appelé également salvar (prononcé chalvar).Certains portaient une sorte de soutane, qui s’apparente aujourd’hui au Qamis. Le sarouel et la soutane étaient tous deux ornés d’un morceau de tissu faisant office de poche ou de ceinture appelé « Kusak » (prononcer Kouchak).
Ce que l’on remarque à l’époque c’est que chaque catégorie sociale porte un costume différent selon que l’on est proche du Sultan, simple citadin, paysan, ou encore savant.
Aujourd’hui encore, on peut voir les vieux hommes porter le pantalon bouffant. Ils ne quittent d’ailleurs pas leur chemise. Le gilet brodé de l’époque en sergé a laissé la place à un gilet en laine à l’occidentale.
Le Fez, toujours le Fez, partout le Fez
Le Fez, ce couvre-chef rouge, fait partie du costume traditionnel turc. C’est un chapeau en feutre à la forme conique et rigide, habillé d’un gland noir vissé au dessus avec des fils qui pendent. Appelé également Tarbouche en Arabe, il connaît un franc succès chez les différentes populations de l’Empire Ottoman.
Il est difficile de déterminer les vraies origines du Fez. Pour certains, le fameux chapeau rouge vient de Grèce et aurait été adopté par les habitants de l’Empire Ottoman. Ce que l’on sait, c’est qu’il tient son nom de la ville marocaine de Fez où était fabriqué le tissu en feutre rouge avec lequel on confectionnait ce tarbouche.
Les habits féminins
Les grandes dames turques de l’ époque médiévale portaient le Caftan, une robe ample à manches longues, plutôt évasées au niveau de la base. Le Caftan reste actuellement un vêtement de choix pour les cérémonies de mariage en Turquie, mais aussi au Maghreb. Les boutiques spécialisées, vendant des Caftans tendance, sont très nombreuses dans tout le pays.
Les femmes dont le rang social est plus modeste, ont l’habitude de porter un costume dit « pharaonique », souvent accompagné d’un pantalon type harem. Pour les accessoires, certaines femmes portent des franges avec des paillettes et des parures en perle sur la tête et au niveau de la ceinture.
Les habits masculins
Comme pour les femmes, les vêtements traditionnels masculins de la Turquie sont très nombreux. Aussi, les historiens n’arrivent pas à trouver la dénomination exacte de certains vêtements facilement. Le Khalat, un manteau assez droit, toujours utilisé fait partie des modèles de vêtements traditionnels pour hommes ayant marqué l’histoire.
L’habit s’accompagne idéalement d’un turban, et d’une ceinture avec décoration ou un ornement en métal. Le khalat est un héritage de la civilisation Ouzbek. Comme les femmes, la plupart des hommes portent également des djellabas avec le turban assorti. En réalité, les hommes turcs portaient déjà ce type de vêtements avant l’Antiquité. Comme les femmes, les jeunes turcs portent des bijoux et parures, notamment lors des cérémonies de mariage.
La Turquie, numéro 1 mondial de la mode islamique
Défilé de mode à Istamboul : le mannequin ajuste ses vêtements, esquisse un sourire en regardant l’objectif et tient tête droite dès que l’appareil crépite. Rien de plus normal pour des photos de mode dans une grande ville européenne. Mais dans cet atelier d’Istamboul, l’exercice est différent. Pas de robes qui épousent les courbes du corps : ici les modèles vantent une mode islamique glamour à sa façon, avec robes larges et foulards sur les cheveux.
En Turquie, pays majoritairement musulman, cette industrie conciliant mode et valeurs religieuses connaît un succès croissant, dans une conjoncture favorisée par la vague de réislamisation qui a déferlé sur tout le monde arabo-musulman. Plus largement, le marché de la mode islamique pourrait, selon le Conseil de la Mode Islamique et du Design (IFDC) basé à Dubaï, avoisiner les 500 milliards de dollars d’ici quelques années, soit plus de 445 milliards d’Euros.
Plus largement, le marché de la mode islamique pourrait, selon le Conseil de la mode islamique et du design (IFDC) basé à Dubai, avoisiner les 500 milliards de dollars d’ici quelques années, soit plus de 445 milliards d’euros.
Dans l’atelier situé sur la rive asiatique d’Istanbul, les mannequins, maquillées et le port élégant, s’efforcent de mettre en valeur les vêtements qu’elles portent sans rien montrer de leur corps, hormis le visage et les mains. Au menu du jour : tuniques longues et robes de soirée brillantes assorties de hauts talons. Les coupes sobres mais les couleurs sont vives.
Istanbul, la plaque-tournante de la mode islamique
Istamboul, qui ambitionne de devenir plaque-tournante pour ce commerce, a accueilli pour la première fois une « Fashion Week » dédiée à la mode islamique, organisée dans la gare historique de Haydarpasa. Selon le styliste Osman Ozdemir, ce secteur est en pleine croissance depuis plusieurs années, dopé par l’arrivée sur le marché de marques mondiales. Dolce & Gabbana a notamment lancé une collection de Hijabs et Abayyas destinés à une clientèle musulmane au Moyen-Orient.
Selon le styliste Osman Ozdemir, ce secteur est en pleine croissance depuis plusieurs années, dopé par l’arrivée sur le marché de marques mondiales.
« Je crois qu’Istamboul va donner le ton », lance Osman Ozdemir. »
Pour Franka Soeria, consultante et styliste indonésienne qui a œuvré pour organiser la Fashion Week d’Istanbul, la mode islamique n’a pas pour but d’inciter les femmes à se couvrir, mais à s’affirmer dans leur propre style vestimentaire.
« Notre message consiste à dire que nous sommes pudiques et que nous aimons nous couvrir, mais que nous aimons aussi la mode. C’est notre style, il faut l’accepter. » dit Franka Soeria qui porte un voile noir.
Ses photos sont publiées dans le catalogue de Modanisa, ; un site turc de ventes en ligne dédié à la mode islamique, lancé en 2011 et devenu en quelques années l’un des poids lourds du secteur. Modanisa référence 30 000 produits de 300 marques : tenues quotidiennes, vêtements de sport, robes du soir, chaussures, accessoires… et livre dans 75 pays.
Le PDG de l’entreprise, Kerim Ture affirme : » autrefois, une jeune femme voilée de 25 ans portait les mêmes habits qu’une femme de 50 ans parce qu’il n’y avait pas d’alternative. C’est pour changer la donne que Modanisa est né ».
Le site vend, entre autres, des maillots de bain entièrement couverts, ces Burkinis au cœur d’une vive polémique en France. Pour Kerim Ture, en porter est » un choix, non un symbole ». Il affirme que les commandes de Burkinis depuis la France ont augmenté de 15 à 20 %, malgré les polémiques à ce sujet dans les médias.
Dans le quartier de Fatih, les boutiques de mode islamique s’enchaînent et de nombreux panneaux publicitaires vantent les vêtements couvrants.
Des touristes viennent des pays arabes grossir la clientèle à Istambul. Ils y trouvent de tout : robes pour tous les jours, pantalons, T-shirts et beaucoup d’autres choses
Mais cette tendance vestimentaire a ses détracteurs, qui estiment que la mode, même pudique, est incompatible avec les préceptes de l’Islam.
Hakan Yaldiz, professeur de sciences politiques à l’université du Bosphore à Istambul est, lui, sceptique sur la créativité de la mode islamique. « C’est souvent de la pure imitation : les styliste ne font que reprendre une robe normale pour en couvrir le décolleté et la rendre conforme aux normes islamiques », dit-il.
Mode islamique, mannequinat et conditions de travail
Après une sortie spectaculaire de l’industrie de la mode, la mannequin somalo-américaine, Halima Aden a annoncé son retour : elle concevra des collections exclusives pour la marque en ligne Modanisa, l’un des plus grands noms de la mode en Turquie.
Halima Aden a déchiré les juteux contrats qui la liaient aux grandes maisons de mode. Elle pose désormais en Hijab et en Burkini et parie sur l’essor de la mode dite pudique destinées aux musulmanes.
Pour cette mannequin américaine d’origine somalienne, née à Kakuma, un camp de réfugiés au nord-ouest du Kénya, c’est une question d’estime de soi dans une industrie qui va trop vite et heurtait de plus en plus ses valeurs.
Elle confie à l’AFP, de passage à Istanbul : « Depuis que je suis petite, cette phrase : ne change pas toi ; change le système, m’a permis de traverser tellement de choses . C’est la raison pour laquelle j’ai tout quitté et j’en suis fière ». a décision en novembre 2020 de la jeune femme a secoué le monde de la mode et des influenceuses qui ont salué cette audace pionnière.
Halima Aden, qui est devenue célèbre en 2016 à la suite d’un concours de beauté Miss USA où elle a été repérée et a ensuite signé avec l’agence mondiale de mannequins IMG, a souligné qu’elle ferait désormais très attention avec qui elle travaille. « Si une marque ne respecte pas mes valeurs ou mes croyances, je la quitte », telle est sa devise désormais.
Elle affirme avec conviction : « il faut un respect minimal de l’être humain . On m’a toujours donné un box, un endroit privé où me changer, mais la plupart du temps, j’étais la seule à bénéficier d’un peu d’intimité . Je voyais mes jeunes camarades qui se déshabillaient en public, devant des personnalités des médias, les designers et les assistants. C’était très choquant. Je ne pouvais pas évoluer dans une industrie où il n’y a pas de respect minimal de l’être humain ».
Elle avait aussi senti que ces traditions, radicalement différentes de celles de la plupart des autres mannequins, étaient caricaturées et tournées en dérision par certaines marques. Americain Eagle avait ainsi remplacé son foulard par une pare de jeans posée sur sa tête en 2017.
« Ce n’est pas mon style ! « avait-elle protesté sur Instagram à l’époque. « J’étais arrivée à un point où je ne pouvais même pas reconnaître mon hijab, tel que je le portais traditionnellement ».
Elle a rapporté avoir reçu un large soutien de ses pairs de l’industrie, y compris des sœurs mannequins Gigi et Bella Hadid, du designer Tommy Hilfiger, de la top model Naomi Campbell et de la chanteuse Rihanna elle-même contestée pour avoir utilisée une musique qui semble avoir un lien avec la religion.
Amena Khan nous donne des précisions sur les limites de la « réussite » dans le cadre de la mode musulmane : « Étonnement, j’ai reçu beaucoup de soutiens lorsque j’ai arrêté. Il y a eu tellement d’autres grands noms qui m’ont contactée et m’ont félicitée d’avoir pris la parole. D’autres mannequins rencontrent également des problèmes similaires, alors que beaucoup de gens m’ont dit qu’ils étaient heureux que j’en ai parlé », a-t-elle expliqué à Middle East Eye.
Interrogée sur son avenir dans la mode et sur la façon dont elle allait choisir les marques avec lesquelles travailler, elle a répondu : « c’est très simple : prenez- moi telle que je suis, ou nous ne seront pas partenaires ». En guise de conseil à ceux qui souhaitent travailler dans la mode, elle préconise : « Vous devez savoir ce que vous demandez et connaître les limites que vous souhaitez définir, car la mode aime repousser les limites des gens ».
La modest Fashion séduit les grandes marques occidentales
Comme nous l’avons déjà signalé, le marché de la mode musulmane est en pleine expansion . Cela fait déjà plusieurs années que des grandes marques internationales comme Tommy Hilfiger, Dolce & Gabbana, Marks and Spencer, Mango, H&M ou encore Nike détiennent leurs propres collections modest fashion (mode pudique) réservées aux femmes musulmanes.
La Turquie et la mode musulmane turque n’est pas en reste, comme nous l’avons vu. En dehors des défilés de mode et des foires aux tenues vestimentaires pudiques,, plusieurs marques de prêt-à-porter comme LC Waikiki (les plus âgés se souviendront de ces T-shirts à visage de singe du temps où la marque appartenait aux Français) ou De Facto ont aussi lancé leur ligne de vêtements modest. Les dernières tendances alliant le style aux impératifs religieux sont relayées notamment par les magazines de mode islamiques. « Vis avec tes valeurs » titre la revue Aysha. Les sites beauté et lifestyle, et bien entendu les influenceuses, You Tubeuses et autres « hijabistas » (hijab + fahhionistas).
Neslihan Cevik, sociologue, membre associée de l’université de Virginia explique : « il faut comprendre qu’initialement,, ce n’était pas une question de mode ou d’esthétique mais d’optimisation vestimentaire pour les jeunes musulmanes qui, après à partir des années 90, entraient dans la sphère publique pour y exercer la médecine, la publicité ou dans différentes branches du sport, que ce soit à New York, à Istamboul ou à Beyrouth ».
L’auteure a écrit de nombreux articles sur les rapports que le jeunes musulmanes entretiennent avec la modernité occidentale.
Lycéennes et collégiennes autorisées à porter le voile
Les filles peuvent porter leur voile dès le collège et le lycée. Après avoir été autorisé à l’université, dans la fonction publique et à l’Assemblée nationale, le port du foulard a été libéralisé& dans l’enseignement secondaire en Turquie.
« Tout le monde peut vivre sa vie comme bon lui semble (…). Nous avons décidé d’avancer vers une approche plus libérale dans l’enseignement au sujet d’un problème suscitant des inquiétudes depuis longtemps » a déclaré le premier ministre Ahmet Davutoglu sur la chaîne privée NTV. Objectif : s’aligner sur les écoles religieuses où les filles ont le droit de se couvrir la tête dès le collège, depuis plusieurs années.
« Toute initiative en faveur des libertés est une bonne chose. Cette mesure vise à répondre aux très nombreuses demandes de parents d’élèves » a-t-il affirmé.
Hijab, Instagram et musique : la jeunesse turque au diapason
Intérieur fastueux, argenterie scintillante et chapeau à voilette combiné au hijab… La diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo de cérémonie religieuse (mawlid) ultra-luxueuse organisée par une jeune instagrameuse pour la naissance de son bébé, il y a quelques semaines, a fait ressurgir les débats concernant la consommation exagérée et ostentatoire dans certains milieux conservateurs turcs.
Ce métissage des codes religieux et de la culture de consommation suscite de vives critiques dans beaucoup de milieux, aussi bien dans le monde de la presse que dans les discussions quotidiennes sur les places publiques.
Parmi les couches sociales les plus traditionalistes, les critiques formulées à travers la toile portent essentiellement sur une perte des valeurs religieuses et la contradiction qui – selon eux – régnerait entre le port du voile et l’exhibition de soi sur les réseaux. Une sorte de soumission à la culture occidentale.
De l’autre côté, dans les milieux libéraux, dits « progressistes », les dépenses superflues exposées dans la vidéo sont mises en rapport avec l’enrichissement de certains milieux religieux, ce qui n’est pas conforme à la morale de l’Islam plus encline à la modestie, la discrétion et le partage de la richesse.
Une génération attirée par le divertissement
Pour l’anthropologue Tayfun Atav, la question est toute autre et mérite d’être analysée en sortant des clivages ambiants :
« Il est question de jeunes qui sont nés dans les années 1990 ou 2000, ce sont les générations que l’on nomme Y et Z et qui assistent depuis leur naissance à une révolution numérique où le divertissement devient la condition de toute chose, que ce soit dans la politique, dans l’éducation ou bien dans la religion. Et ceci est bien entendu accompagné par la prédominance de la culture visuelle. Dans ce contexte, cette cérémonie de mawlid n’est pas une pratique religieuse mais la simulation de cette pratique qui est instrumentalisée pour accroître la popularité de la jeune maman. C’est une simple story à poster sur Instagram » explique-t-il.
« Aujourd’hui, le bébé se voit transformé en marque, une célébrité à travers les réseaux. C’est une métamorphose culturelle époustouflante qui se réalise devant nos yeux. De même que le voile, qui a été le symbole le plus frappant de l’identité musulmane, dont le port a été interdit et pour lequel de nombreux combats ont été livrés, se voit aujourd’hui devenir un matériel de l’industrie de la mode, qui ne signifie pas l’intimité mais la publicité. Et c’est ça qui choque les secteurs les plus traditionalistes. Mais les temps changent et leur époque est désormais révolues », soutient Mr Tayfun.
A lire aussi : http://www.slate.fr/story/165878/voile-gap-hijab-hijabista-niqab-burqa-polemique
Le « muslimisme », lubie ou orthodoxie moderne ?
Pour Neslihan Cevik, chercheuse, c’est la vague individualiste des années 80 accompagnant le tournant néolibéral qui a engendré ce nouveau phénomène qu’elle appelle « muslimisme », une sorte de de nouvelle orthodoxie qui aurait son pendant dans d’autres religions aussi, notamment chez les évangéliques.
Elle continue à développer son argumentation :
« Ces gens sont passionnément religieux, mais ils sont critiques par rapport aux personnes et institutions qui représentent traditionnellement la religion et aussi face aux séculaires qui prétendent être les seuls détenteurs de la modernité. Mais surtout, les femmes étaient dépourvues des moyens vestimentaires pour affirmer leur identité à la fois religieuse et moderne »
En effet, l’habit traditionnel des femmes pieuses de Turquie, constitué de long manteaux ou de pardessus aux couleurs sombres, les faisaient paraître âgées et ringardes. Ce qu’elles n’étaient résolument pas. « Il y avait là une véritable opportunité et les boîtes qui l’ont perçue ont ramassé beaucoup d’argent », ajoute la chercheuse avec amusement.
Ayant elle-même été conseillère pour des collections de modest wear en Turquie, notamment destinées aux femmes actives portant le voile, Neslihan Cevik indique :
« Le rôle des influenceuses de mode musulmane n’est pas à négliger, c’est une sorte de démocratisation de la mode. Ca paraît sûrement plus sympathique que des publicités et plus proche des consommateurs, elles sont perçues comme l’une d’entre nous, il y a des possibilités d’interaction, etc… Mais il reste toutefois un risque. Que va-t-il en être de la référence morale ? C’est une jeune fille de 19 ans sur Instagram qui va décider de ce que va être la religiosité, de comment se couvrir et ce que ça doit signifier ? Je pense que l’antidote réside dans une solide éducation religieuse ».
Musulmane, féministe et guitariste !
Cette volonté d’affirmer son individualité ne s’exprime pas seulement à travers les ressorts de la consommation mais aussi, même si les cas sont limités, par la musique.
Rümesa Camdereli, pratique la guitare depuis l’âge de 12 ans. Venant d’une famille pieuse, elle dit qu’elle a toujours bénéficié du soutient de sa famille concernant sa passion pour la musique.
« Il n’y avait aucune contradiction pour moi entre mon voile et ma musique. » raconte-t-elle. Mais sa prise de conscience du fait que son hijab était un fardeau qu’il fallait assumer si elle voulait continuer à jouer de la guitare électrique se produisit lorsqu’elle fit en 2007 la une du journal Hürriyet, alors fer de lance des courants modernistes, qui commentait son audition à une fête de son université comme un « show bizarre ». Elle soupire : « je persévère, mais c’est difficile de faire professionnellement de la musique, car il faut entrer et se faire accepter dans des réseaux séculaires ».
Creditsphoto :image illustration : https://turkpidya.com/fr/mode-turque-en-ligne-pour-le-hijab-guide-complet-2022/