Mis en avant sur le site Madame le Figaro, les termes Hijabistas, mipsterz (contraction de musulman et hipsters), modest fashion (mode pudique), différentes tendances sont apparues dans les années 2010 sous l’impulsion de blogueuses musulmanes vivant un peu partout dans le monde. Féminines, passionnées de mode et fières de leur identité culturelle, ces web influenceuses ont construit leur réseau autour d’un sujet de niche : la mode et le monde musulman.
Shelina Janmohamed, vice-présidente de l’agence de publicité Ogilvy Noor depuis 2011 et blogueuse depuis 2006 explique :
»Les femmes musulmanes sont proactives, énergiques et influentes, elles font bouger les choses .Elles veulent prendre la parole et faire valoir leur identité à leur façon, avec leurs propres termes. La mode en fait partie ».
Mode musulmane : un marché de 500 milliards de dollars, cela donne des idées !
Le monde musulman et le concept de la mode modest sont devenus un enjeu économique d’importance pour le secteur de la mode. Dans une interview accordée à la revue Internarional Business Times, Reina Lewis, chercheuse et auteure d’un ouvrage récent sur la mode dans le monde musulman résume la situation :
« Il y a un grand marché grandissant pour ce que l’on appelle « la mode modeste ou modest fashion ». La population musulmane est globalement jeune et en augmentation. Jusqu’à présent, le marketing ne s’adressait aux musulmans que pour vendre des produits alimentaires et financiers. Mais je pense que la mode est en train de prendre la troisième place. »
Secteur très dynamique du marché de la mode, le marché de la mode modest s’est offert une croissance de 11 %, elle représentait 280 millions de dollars en 2018.Selon le The Global Islamic Economic Report de 2019/2020, les prévisions de croissance du marché à l’aube 2024 de la mode modest pourrait dépassé les près de 500 milliards de dollars.
Les marques internationales tout secteur confondu intègrent des modèles et vêtements modest dans leurs campagnes et défilés internationaux. A côté des maisons de couture francaises comme H&M pour ne citer que cette marque, Apple, Android ou Coca Cola n’hésitent pas à mettre en avant des femmes qui portent le hijab. Car une marque qui cherche à conquérir des marchés inexploités, notamment la mode musulmane doit adapter sa stratégie pour toucher sa cible. », analyse Shelina Janmohamed, spécialiste des marchés musulmans.
La manne financière de la mode musulmane dans le monde
Le prêt -à-porter et les grands couturiers occidentaux n’hésitent plus à lancer des collections « pudiques » modest fashion, quitte à susciter des polémiques. C’est que l’affaire est très lucrative !
Le créateur nigérien Alphadi déclare : « La mode musulmane explose. Cela n’a rien d’étonnant et va bien au-delà du monde arabe ou de l’Afrique. Elle gagne l’Europe, l’Asie et l’Amérique » et ce, en plein lancement de la onzième édition de son Festival International de la Mode en Afrique , (FIMA) qui a eu lieu en novembre à Dakhla, au Maroc. Avec le concours de la créatrice britannique musulmane Hana Tajila, elle a développé une ligne de hijabs, tuniques, pantalons amples, longues jupes,et tops couvrants au style bohème et minimaliste. Le géant du streetwear, Nike, Mango et autres Marks & Spencer ont suivi.
Sans grande surprise, parmi les pays qui développent l’économie du prêt -à-porter islamique, les Emirats Arabes Unis tiennent le haut du pavé, suivis par la Turquie, la France et la Chine qui se disputent la cinquième place, et le Maroc ferme le top 10. Les marques occidentales prennent largement part à cette tendance qui touche aussi bien les « hijabista » (fashionistas musulmanes) que les juifs ultra-orthodoxes ou les chrétiens évangéliques.
Le marché de la Modest fashion : l’objectif est de rayonner à l’échelle mondiale
Sofia Slimani, spécialiste des tendances au sein de l’agence de prospective française déclare : « La clientèle ciblée est majoritairement les millennials musulmans – tant dans leurs pays d’origine que dans leurs pays d’adoption, . Ils sont connectés au fait de la mode, ont un pouvoir d’achat grandissant et son en quête de représentativité. Ils s’attachent donc à des marques engagées qui comprennent leurs besoins et leurs spécificités. »
La haute couture n’est pas en reste. Dans les pays du Golf, il n’est plus rare de voir des abayas customisées avec des cristaux Swarovski. On trouve des combi-pantalons oversize chez Jacquemus ; des caftans en tulle et crêpe à ornements chez Elie Saab, des robes du soir couvrantes en georgette, des soies à sequins, chez Carolina Herrera et des jupes longues en satin de soie chez Gucci. Ces pièces ont même eu le droit à leurs défilés à la Fashion Week de New York ces dernières saisons..
Le monde est-il prêt pour la mode modest ?
Les grandes enseignes tentent de se faire une place sur ces marchés porteurs, mais la communication reste délicate. DKNY, Uniqlo Mango, Tommy Hilfiger, Oscar de la Renta, Etro et dernièrement Dolce & Gabbana ou encore le site « net-à-porter » ont lancé des collections capsules ses dernières années. Souvent commercialisées au moment du Ramadhan, elles sont vendues sur le web et dans les boutiques des pays musulmans, mais très peu en Europe ou aux États-Unis. Bien accueillies par la clientèle musulmane, ces lignes événementielles ne font pas l’unanimité. Pour Stéphanie Khalil Alghani, rédactrice en chef de Covertime , site américain dédié aux femmes musulmanes loupent leur cible.
En lançant des collections capsules en plein Ramadhan, les marques occidentales prouvent qu’elles ne comprennent pas la clientèle musulmane. A cette période, nous jeûnons et nous nous tournons vers la spiritualité. C’est le moment où on fait preuve de charité et on lit le Coran. Pour les fêtes de l’Aïd, les musulmans vont porter des tenues traditionnelles qu’ils vont acheter de préférence chez les commerçants de la communauté qui vendent déjà ce type de vêtement. Ils s’intéressent à la mode les 11 autres mois de l’année !
Face à cette incompréhension et en l’absence d’une offre de vêtements véritablement en accord avec certaines exigences religieuses, Madeena en Malaisie, mod-sty.com, Louella ou encore Amirah Couture, avec leur foi, de jeunes entrepreneuses musulmanes ont décidé de se lancer dans le business de la mode modest.
Aux États-Unis, ces sites dédiés à la « mode pudique ou mode modest » ont vite trouvé leur cible. Citée dans l’article de l’International Business Time, l’Américaine Ibtihaj Muhamed raconte qu’en 2015, un an après avoir lancé Louella.com, son entreprise enregistre un bénéfice de 250 000 Dollars. L’Américaine Amirah Aulaqi créatrice de Amirah Couture incarne elle aussi les ambitions d’une génération de musulmanes qui cherchent l’équilibre entre féminité, religion, modernité et réussite professionnelle.
« J’ai grandi dans un monde occidental et j’ai commencé à porter le voile à l’âge de huit ans. Beaucoup de gens considèrent le voile comme un handicap, mais en fait, cela fait de moi une musulmane forte et résolue. J’ai créé Amirah Couture pour combiner mon intérêt pour la mode et ma pratique religieuse. C’est une façon de prendre part à la société dans laquelle je vis tout en jouant un rôle dans l’existence des femmes qui pratiquent leur foi », raconte Amirah Aulaqi qui a intégré le programme de parrainage de la fondation Ariane de Rotchild.
Mode modest : Un secteur trop longtemps délaissée
Les grandes maisons, conscientes du retard accumulé par rapport à une filières trop longtemps ignorée ,ont aussi imaginé des griffes spécialisées, présentées par des mannequins portant le hijab et présentes sur les plateformes d’e-commerce dans la catégorie mode pudique. Dolce & Gabbana a mis les pieds dans le plat avec sa collection printemps-été 2016 de hijabs et abayas, quitte à soulever une vive polémique…
Chez Burberry, c’est à l’occasion du Ramadhan qu’une éditions limitées de robes longues et de sacs est mises sur le marché. Sofia Slimani affirme : « Il faut y voir, avant tout une industrie à l’affût de la moindre aubaine lucrative. Et les marques ne veulent pas voir leur réputation ternie par un manque de compréhension quant à l’évolution de la mode et des attentes des consommateur
En 2017, une Islamic Fashion Week a même été organisée à New York. Et jusqu’au 06 janvier 2019, le musée De Young, de San-Francisco a accueilli l’exposition « Contemporary Muslim Fashion « consacrée à la mode musulmane sous toutes ses coutures : du sportswear aux robes du soir griffées. Cela révèle toute l’importance que le sujet est amené à prendre dans les années à venir » estime Sofia Slimani.. Sur la toile, les marques ou les sites d’e-commerce spécialisées dans la mode pudique, comme The Modist, établi à Dubaï se multiplient. Et sur les réseaux sociaux, les influenceuses voilées ne font plus exception.
Mais voyons ce qu’il en est des hommes. Ou « mipsters » (contraction de hipsters et musulmans). « Ils ne sont pas la cible principale, parce qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes vestimentaires que les femmes, analyse Sofia Slimani . Mais de plus en plus de designers et de marques issus du monde arabe se font connaître, même s’ils ne s’adressent pas exclusivement au consommateur musulman. Et de citer Paria Farzaneh, Precious Trust ou Enami.
Mode modeste, modest fashion, mode pudique
Appelée modest fashion par les anglophones, la mode pudique dites modest surprend et divise aussi bien les non musulmans que les musulmans eux-mêmes ! « Les musulmans utilisent leur créativité pour initier une mode qui répondent aux exigences religieuses de la modestie : des vêtements plus longs, plus amples avec des manches longues, portés avec ou sans le voile.
Si les vêtements musulmans ( pudiques) sont le reflet d’une culture d’un peuple croyant, la mode dites modest est d’abord révélatrice d’une tradition de savoir-faire ancestral, d’une conception textile locale et artisanale et l’utilisation des matériaux cultivés sur les territoires. La mode musulmane est représentée par des vêtements amples et couvrants aux tissus orientaux ornés de belles broderies ethniques, utilisation de teintures organiques, des vêtements au textile opaques et de qualité.
La mode modest se veut être avant tout la définition d’une mode libertaire permettant aux femmes qui le souhaite reprendre le pouvoir sur leur corps en choisissant des vêtements sans devoir suivre les dictats d’une mode ou l’hypersexualisation est imposée par la société. La modestie est une manière d’exprimer autrement sa féminité avec des vêtements ne soulignant pas les formes du corps tout en valorisant une silhouette plus féminine.
La mode modest : éthique, inclusive qui prône la diversité
Une mode éthique qui bouscule les grandes marques
Dans un principe de durabilité mais aussi d’enjeux sociétaux et environnementaux, la mode éthique va dans le sens des valeurs de la mode modest. Une bonne alternative avec des processus de production éthiques, plus respectueux pour l’homme et l’environnement. Cela passe par la traçabilité et les moyens et les matériaux utilisés dans la production des vêtements.
Dans cet objectif, il faut permettre aux consommateurs de se tourner vers une mode éthique et un shopping responsable. Consommer différemment déjà en vérifiant les origines des vêtements et leur composition. Dans cet optique, il est important de vérifier la durabilité du vêtement soit favoriser dans ses achats des vêtements qualitatifs. Type et qualité du tissu, provenance, process de fabrication pour s’assurer de la longévité du vêtement pour ne pas sur-consommer.
La Modest Fashion, une mode inclusive et valorisante pour tous
Dans le concept de la Modest Fashion, on entend souvent parler de mode inclusive : et ce concept valorise toute personne dans une société quel que soit ses différences. Les personnes identifiées soit par un handicap, un certain niveau social, des origines ou religions ne seront pas mises à l’écart dans une société inclusive. Dans une mode inclusive comme la Mode modest, tout le monde a le pouvoir d’exprimer sa personnalité propre sans chercher juste le paraitre avec des styles trop courants.
En effet, le fondement de la mode d’aujourd’hui doivent répondre à toutes les exigences et se démarquer des clones des magazines, des mannequins anorexiques avec des cheveux colorés et des yeux bleus azur. Cette mode modest inclusive casse les codes et passent au-dessus des préjugés oppressant de la société. Les marques de mode qui réussissent à percer dans la mode modest ont bien compris qu’il est important de proposer des modèles vestimentaires différents dans leurs défilés pour répondre à toutes les personnalités.
Mode musulmane ou « mode pudique », quelle différence ?
Il était grand temps de mettre cette diversité au grand jour, mais, il y a 10 ans, cela aurait été compliqué à réaliser dans la mesure où l’offre des créateurs de mode pudique s’est vraiment étoffée ces derniers temps, et devient chaque année plus pointue.
Aujourd’hui, les influenceurs, les consommateurs de mode modest et mode musulmane respectant les critères religieux exigent désormais d’être représentés, d’avoir des tenues modernes et variées qui reflètent leur quotidien. Longtemps ignorés par les grandes maisons, ils ont inventé leur propre style, que ce soit via les réseaux sociaux, le lancement de nouvelles marques ou de plateforme de ventes en ligne. Cette ébullition créative justifiait qu’on consacre une exposition au phénomène actuel.
Mode musulmane et mode pudique : Les principales différences régionales
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les styles du Moyen-Orient et du Sud-Est asiatique sont très différents. Le Moyen-Orient a ce look un peu minimaliste : l’abaya domine la garde -robe, déclinée cependant en mille versions différentes, alors qu’en Asie du Sud-Est on voit que les vêtements traditionnels sont intégrés à la mode modeste, notamment grâce au Batik (tissu imprimé selon une technique artisanale d’origine indonésienne). Aux Etats-Unis, en revanche, on trouve beaucoup de pièces de street Wear et sports wear assemblés pour former un style unique, contemporain.
Aux Etats-Unis, en revanche, on trouve beaucoup de pièces de street Wear et sports wear en mode modest et pudique assemblés pour former un style unique et contemporain.
Les créateurs d’Asie du Sud-Est ont été largement influencés par la mode modest d’autres pays asiatiques, notamment coréennes. Les artisans et couturiers travaillent encore énormément avec les créateurs indonésiens par exemple. On a tendance à croire en Occident que l’artisanat disparaît avec la mondialisation, mais ce n’est pas forcément vrai. Ils ont l’intention :
- d’une part de montrer que les garde-robes féminines musulmanes peuvent être contemporaines, faire partie intégrante de la société occidentale, qui les caractérisent tout en conservant les attributs « modestes » qui les caractérisent.
- D’autre part, de sortir de cette image unique et réductrice des femmes musulmanes. Les deux aspects jouent en faveur de l’intégration et de l’inclusion
N’hésitez pas à lire nos guides de la mode musulmane et modest par pays
Hijab à l’occidentale et foulard islamique
Le marché délicat de la mode islamique
L’annonce de la maison Dolce & Gabbana de la sortie de sa collection de hijabs et abayas (annonce assortie de la diffusion de premières images sur Instagram) n’a pas laissé indifférents les réseaux sociaux. Et le moins que l’on puisse dire est que les avis sont assez tranchés. Sur Facebook et Instagram, nombreux ont clamé leur stupéfaction, voir même leur indignation face à ce qui leur apparaissait comme une inconvenance, tandis que d’autres ont chaleureusement encouragé les deux designers pour leur esprit d’ouverture.
Les détracteurs les plus virulents y ont vu une apologie malvenue de la mode « halal », les afficionados y ont vu de leur côté une adaptation légitime à la conquête de marché injustement inexplorés. Et il est vrai que jusqu’à maintenant, en Occident, si de célèbres créateurs comme Valentino (rachetée par un véhicule d’investissements de la famille royale qatarie, pour le compte de la Cheikha Mozah Bint Nasser, la deuxième des trois épouses de l’émir du Qatar), Elie Saab et Hussein Chalayan s’inspiraient de la culture du Moyen-Orient dans leurs créations, la question des hijabs et des abayas restait tabou. Un tabou désormais rompu non seulement par Dolce & Gabbana mais aussi par Uniqlo et H & M. Le site net-à-porter a lui aussi lancé des collections capsules destinées aux femmes musulmanes, sans compter les incursions discrètes de DKNY, Tommy Hilfinger ou encore Oscar de la Renta.